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Crissements de plume

C'est une chose étrange à la fin que le monde — Jean d'Ormesson

Première publication : 15 mars 2015

Prévenons dès à présent le lecteur : ce livre n’est pas un roman ordinaire. Que sait-on du narrateur ? Bien peu de choses : alors qu’il a beaucoup voyagé, lu et étudié, apprécié les plaisirs que lui procurait l’existence, une question le foudroie : « pourquoi y a-t-il quelque chose au lieu de rien ? ». De là, la nécessité de prendre la plume pour mettre en ordre ses pensées et connaissances. Divisé en trois parties précédées d’un prologue, ce livre entraîne le lecteur dans les considérations d’un homme humble face à des sujets aussi vastes et périlleux que la foi, Dieu, le temps, la mort, la création du monde.

Sommes-nous en train de lire un véritable roman ? Un raisonnement justifie le terme inscrit sur la première de couverture. Retranscrire l’histoire du monde, c’est récrire une histoire dont les chances de se concrétiser étaient infimes, qui, reposant sur des mécanismes prodigieux a cependant existé, la vie comme personnage principal aux apparition et reproduction en définitive miraculeuses. L’histoire ne commence qu’à la naissance de l’univers puisque notre esprit ne peut concevoir le néant.

Dieu et sciences ne s’opposent pas. La première partie instaure une alternance dynamique entre les chapitres consacrés à la compréhension du monde, des premières mythologies fondées sur la terreur et l’admiration aux théories scientifiques les plus pointues, et ceux où s’exprime un Vieux rêvé, doté d’affects très humains. La première page qui lui est dédiée, blanche, surprend le lecteur. A cet effet visuel un double sens possible : il marque à la fois le début du rêve et le néant d’où est sorti le monde. Notons que le narrateur ne définit jamais le Vieux comme Dieu, mais comme « quelque chose de lumineux et d’obscur » situé à l’intérieur du néant originel et échappant à l’esprit humain.

Arts et sciences possèdent leurs limites. Au-delà se trouve Dieu inventé pour incarner l’inconcevable, différencié par les religions. Existe-t-il ? Philosophes, scientifiques, artistes ont échoué à apporter une preuve irréfutable. Pour le narrateur, Dieu reste confiné dans le seul domaine du doute ou de la foi.

A cette absence de certitude s’ajoutent trois énigmes sur le temps, la mort et le sens éventuel du monde. Les deux premières sont liées à Dieu. Puisque la mort est le seul avenir assuré, le temps que nous ne pouvons retenir nous y conduit inéluctablement, établit donc entre nous une égalité. Si notre conception de la mort dépend de notre croyance ou non en Dieu, elle détermine également notre façon d’envisager la vie. En revanche, sur le sens possible du monde, Dieu et la science ne nous sont d’aucun secours. Le monde prend celui que l’homme veut lui donner, à moins d’accepter que la logique suivie par l’histoire nous demeure inconnue.

Après ces pages assez impersonnelles et érudites d’où est bannie toute pédanterie, le narrateur apaisé revient à la première personne pour faire part de sa satisfaction, sa gratitude et du retour de sa gaieté.

Dans cet ouvrage se concentre tout ce que nous aimons chez Jean d’Ormesson, sa malice et son intelligence, sa limpidité, sa fantaisie et son souci didactique, lui qui a pris soin de diviser ses parties en chapitres courts portant chacun un titre. Un roman à lire sans doute plusieurs fois au cours d’une vie.

 

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